On a rencontré Extinction Rebellion à Bristol, là où tout a commencé. Revendications, organisation, rapports avec la police… Le Royaume-Uni a déclaré l’urgence climatique en mai dernier mais les militants d’un monde plus social et écologique ne s’arrêtent pas là.
C’est en plein coeur du quartier alternatif Stokes Croft que nous retrouvons les militants de Extinction Rebellion de « Bristol-Centre » pour leur réunion hebdomadaire. Tous les mercredis depuis un an, l’équipe du centre-ville de Bristol se retrouve au Malcolm X Community Centre pour préparer ses futures actions. Pour les quartiers sud et nord, les réunions se passent le mardi — parce que les militants sont nombreux, plusieurs centaines.
À la porte, nous rencontrons Roxanna, nouvelle dans la ville, qui se joint à nous : « C’est ma première réunion, j’ai entendu parler de Extinction Rebellion dans les médias et je suis curieuse de voir ce que ça donne » explique-t-elle.
Un tract est distribué dès l’entrée. Il rappelle entre autres, l’essence même du mouvement : « Extinction Rebellion [abregé XR] est un mouvement international qui revendique la désobéissance civile en recourant à des actions coup-de-poing non-violentes pour encourager les gouvernements à prendre des mesures contre le changement écologique et ses conséquences. »

Dans la salle polyvalente du centre social, les organisateurs se pressent, un buffet végé est dressé et les militants qui affluent petit à petit prennent place autour de tables rondes. En amont du repas, nous rencontrons Dave, un habitué de XR, avec qui nous échangeons quelques mots sur l’objet de ce rassemblement : « Les réunions comme aujourd’hui permettent de rester tous en contact, de rencontrer les nouveaux « rebelles » et de préparer nos futures actions. »

Bristol au premier rang
Les actions d’Extinction Rebellion, on les a vu démarrées à Londres en octobre 2018, deux ans après que le collectif Rising Up! ait échoué dans sa tentative de stopper l’extension de l’aéroport de Londres-Heathrow et décide de créer le mouvement XR pour trouver de nouvelles formes d’actions plus efficaces que les traditionnelles manifs de rue.
Leurs idées mûrissent avec les travaux de la chercheuse Erica Chenoweth, spécialiste des mouvements de résistance civile non-violente. À l’automne 2018, le journal britannique The Guardian publie une tribune signée par plus de cent universitaires. Ils appellent à l’action urgente face à la crise écologique et affirment leur soutien à ce nouveau collectif.
Le 31 octobre, un millier de manifestants déferlent sur la place Parliament Square à Londres, accompagnés de politiciens anglais, de députés européens et de la militante suédoise Greta Thunberg (qui assènera les politiques quelques temps plus tard de son « How dare you ? »). La « déclaration de rébellion » est lancée.
« La majorité des fondateurs du mouvement sont de la région de Stroud, juste à côté de Bristol »
« Bristol a suivi presqu’instantanément après la déclaration de rébellion, parce que la majorité des fondateurs du mouvement sont de la région de Stroud, juste à côté » nous éclaire Dave. La France se joint au mouvement en mars 2019, place de la Bourse à Paris. Blocages, Die-in, Critical Mass Bike… Les actions « coup-de-poing » mais pacifistes se poursuivent depuis partout dans le monde — selon Radio France International, le mouvement compte aujourd’hui plus de 100 000 militants dans 70 pays.

Le but de XR : forcer les gouvernements à reconnaître publiquement la gravité et l’urgence de la crise écologique actuelle et agir en conséquence. A l’international, le mouvement réclame, en 3 points : « la réduction des émissions de gaz à effet de serre pour atteindre la neutralité carbone en 2025, l’arrêt immédiat de la destruction des écosystèmes océaniques et terrestres, la création d’une assemblée citoyenne, par pays, chargée de décider des mesures à mettre en place pour atteindre ces objectifs. »
Au Royaume-Uni, leurs revendications ne sont pas vaines : « En mai 2019, le Parlement britannique a déclaré l’urgence climatique et une assemblée citoyenne est également en train de se mettre en place pour superviser la transition » raconte Dave. Mais selon lui, ce n’est pas suffisant : « Maintenant, on doit forcer le niveau politique à agir concrètement. Si nous relâchons la pression, le gouvernement peut revendiquer la victoire et se dire qu’il a fait ce qu’il avait à faire. Mais nous sommes très loin d’avoir gagné et agi en conséquence de la gravité de la situation. »
« Notre pays est en partie responsable de ce gâchis en ayant commencé la révolution industrielle et la consommation de masse, nous devons donc faire les premiers pas »
Loin de lâcher du leste, le Royaume-Uni se place en tête de file du mouvement : « Nous devons montrer la voie à l’échelle mondiale. Notre pays est en partie responsable de ce gâchis en ayant commencé la révolution industrielle et la consommation de masse, nous devons donc faire les premiers pas » poursuit le militant.
L’échelle individuelle ou locale peut-être contribuer à sauvegarder la planète ? « Planter des arbres ou vivre parfaitement en tant qu’individu, avec un impact nul, c’est complètement compensé par l’énorme impact du capitalisme. On doit encourager les choix et les actions personnelles mais cela ne résoudra pas le problème » conclue-t-il.

Pacifisme des deux côtés
Après ce bref entretien, Dave décide de nous faire rencontrer deux des plus engagés du mouvement à Bristol : James, coordinateur de la collecte de fonds et David, ancien membre de l’association Rising Up! — précurseuse de XR.
« Lorsque c’est violent, les médias se concentrent uniquement sur ça plutôt que sur la cause de la protestation »
Ils nous rappellent, entre autres, la volonté pacifique du mouvement : « Souvent, on bloque des routes. Cela nous permet d’avoir des espaces d’expression sans trafic, les gens peuvent venir en famille et se sentir en sécurité. Quiconque cherche à être violent est exclu du mouvement », explique David, « c’est très différent des manifestations passées au Royaume-Uni. On a choisi la non-violence notamment parce que lorsque c’est violent, les médias se concentrent uniquement sur ça plutôt que sur la cause de la protestation. »

La police répond-elle à leur pacifisme par des LBD 40, comme en France ? « On est vraiment chanceux ici. La police peut être un peu agressive, te sortir de la route mais personne n’est plaqué sur le sol ou ne reçoit de coups », raconte James, « on voit les images en France et on trouve ça horrible. Ici, on essaie d’avoir des relations respectueuses avec les forces de l’ordre et on pense que ça marche parce que beaucoup d’entre eux partagent les mêmes préoccupations que nous. Quand on leur parle de l’avenir de leurs enfants, en tant qu’individu, forcément ça connecte et c’est encourageant pour la suite. »
A Bristol comme ailleurs, Extinction Rebellion défraie la chronique. Pour le mieux si l’on suit les prédictions catastrophiques des plus savants scientifiques et du dernier rapport du GIEC. Mais pour le pire, lorsque le 20 novembre dernier, l’un des co-fondateurs du mouvement, Roger Hallam, a tenu des propos plus que douteux sur l’Holocauste dans le journal allemand Die Zeit. Mais XR, dans sa globalité, déplore et se dé-solidarise de ses propos, appelant à l’exclusion de l’activiste.
S’il semble indéniable que le sursaut écologique mondial arrive à point nommé, Extinction Rebellion est souvent accusé d’alarmisme. Mais lorsque l’on connaît, depuis 1972, date de la publication du rapport Meadows, les dangers de la croissance économique sur la planète ; que l’on voit la plupart des Etats ne pas tenir leurs accords sur l’écologie ; que les plus haut-placés achètent déjà des bumkers — craignant la fin du monde qu’ils participent à créer, le silence des gouvernements n’en dit-il pas plus long sur leur conscience de la catastrophe à venir qu’on ne veut bien se l’avouer ?
📝 © Eva-Marie Debas